«Y retourner, c’est signer mon arrêt de mort» – Portrait d’Anderson, journaliste haïtien
Journaliste dans un pays gangrené par la corruption, Anderson s’est attiré les foudres des hommes du pouvoir à cause de son émission décryptant les agissements du gouvernement. Pour sa famille et sa propre sécurité, il a fui son île natale pour se réfugier en France.
A la Maison des Journalistes, Anderson, d’un naturel discret et timide, raconte son périple qui l’a mené à la Maison des journalistes. Ce qu’Anderson a subi dans son pays, de nombreux journalistes haïtiens l’ont traversé aussi, s’ils ne fricotent pas avec le pouvoir et le parti PHTK (Parti haïtien Tèt Kale).
En octobre 2017, Anderson intègre la radio PrinceInter. A seulement 23 ans, il devient présentateur de son émission Haïti et Ses choix de dirigeants politiques.
«On analysait la façon dont les dirigeants politiques gèrent leur mandat, comment ils intervenaient sur des questions importantes.»
Anderson remettait en question les politiques. Parfois, il les invitait sur son plateau. Au micro de Radio Princeinter, il dénonçait les abus, les magouilles, et remettait en question les décisions prises par les politiques.
Soif d’informer
Anderson partage avec nous son amour dévorant pour le journalisme. Une flamme qui brûlait déjà au fond de lui dès son plus jeune âge.
D’un sourire naturel, il peint le portrait d’un enfant qui savait déjà utiliser sa voix et sa rhétorique comme un pouvoir permettant interpeller son entourage et plus tard, les auditeurs d’Haïti. Après son école de journalisme, Anderson pose un premier pas dans le monde du travail.
Il se rappelle avoir discuté de l’un de ses premiers contrats pendant plus d’une heure lors d’un entretien d’embauche pour une autre radio.
Le recruteur a tenté de profiter de son ambition afin qu’Anderson travaille gratuitement car, «tu comprends, il n’y a pas d’argent dans la profession».
Son rêve de devenir journaliste fut, au fur et à mesure, mis en péril par la précarité de l’île.
Au début, Anderson avoue, presque en chuchotant, qu’il ne prenait pas assez au sérieux l’émission à PrinceInter: «Je faisais de la radio comme si je discutais avec des amis».
Par la suite, il s’est intéressé à la politique et à la vie sociale d’Haïti. Il touchait des sujets de fonds, «ceux que certains journalistes n’osent même plus aborder» dans son pays, dit-il.
Le journaliste ne se laissait pas abattre malgré la corruption dans laquelle baigne son île depuis des années. Après quelques années d’expérience dans le journalisme, Anderson comprit : «Je me suis dit que le journalisme n’était pas un métier facile».
Avancer sur un terrain miné
Ses premières émissions provoquent de nombreuses réactions. «Quand je mentionnais des hommes politiques et des hommes d’affaires, ils se sentaient touchés par mes propos. J’entendais, je voyais et plus tard, je subissais des pressions de la part de ces hommes.»
Anderson parcourt ses souvenirs restés intacts. Les larmes montent et ses yeux deviennent brillants. Alors, il ressasse tous les appels masqués et les menaces de mort que lui et sa famille, aujourd’hui traumatisés, subissaient à Haïti.
Les journalistes haïtiens prennent des risques simplement en couvrant des manifestations ou des reportages dans des quartiers sensibles. Matraqués voir assassinés, c’est ce qu’ont subi certains de ses confrères, comme Néhémie Joseph en 2019 ou le photoreporter Vladjimir Legagneur disparu en 2018. La justice, elle, ne se tourne qu’en faveur des hommes au pouvoir.
En révélant les agissements du gouvernement et des institutions, Anderson se mit en danger. «Il y a plus d’un an, en mars 2019, un groupe armé a pu pénétrer à mon domicile. J’ai retrouvé mon appartement vandalisé, heureusement que je n’étais pas là» raconte-t-il d’une voix tremblante et dolente.
Parmi ses souvenirs bouleversants, il raconte qu’un soir, en rentrant chez lui à la fin de son émission, un homme à moto avait tiré plusieurs fois en sa direction, et par chance, son agresseur l’a manqué.
Sans aucune séquelle physique, il reste néanmoins secoué par cette agression.
Pour sa sécurité et celle de ses proches, il décide de quitter Radio Trans Inter. Il date sa dernière émission le 24 mai 2019.
Dès le mois de juin, il part se réfugier à la capitale, Port-au-Prince. Ses proches et ses confrères le préviennent alors, qu’il est attendu et que son domicile est surveillé. Anderson ne peut plus revenir.
«Je suis resté une semaine à Port-au-Prince, je n’avais pas d’autres vêtements, pas de papiers, juste les habits que j’avais sur moi et mon téléphone. Ma mère m’a tout envoyé.»
Peu de temps après, il prit un aller simple pour sa liberté.
Un nouveau refuge
Après avoir échappé à la mort à de nombreuses reprises, Anderson entama un long voyage grâce à son ami pouvant l’aider à prendre la fuite et l’amener en France en juin 2019.
Son premier jour sur sa nouvelle terre d’accueil, une autre connaissance lui prêta main forte en l’accueillant pendant un mois sous son toit. Puis, sans téléphone ni autre connaissance, il enchaîna les séjours dans des auberges de jeunesse, des églises ou dans les rues de Paris.
Sans téléphone jusqu’en septembre, Anderson était seul dans ses démarches administratives.
Il fit des rencontres qui lui permirent d’obtenir un téléphone et d’entamer sa demande d’asile. En mai 2020, il candidate à la Maison des Journalistes. Aujourd’hui, il est dans l’attente d’une convocation à l’OFPRA.
«En France, je me sens beaucoup plus en sécurité. Je me sens chez moi.»
Même s’il poursuit l’écriture de ses articles l’esprit tranquille, Anderson a ses pensées dirigées vers sa famille: «Je n’ai pas pu dire au revoir ni à ma mère, ni à ma sœur. Parfois, je me dis que mon père, qui avance en âge, va mourir sans même que je puisse le revoir un jour. Mais y retourner, c’est signer mon arrêt de mort.»
Souvenir
Anderson a gardé près de lui ce bracelet. Il lui a été offert par sa mère quatre jours avant son départ à Port-au-Prince.
«C’est le seul souvenir qui a une valeur sentimentale, qui me reste de ma mère et d’Haïti.»