UNE JOURNALISTE KURDE-IRAKIENNE DIALOGUE AVEC DES PERSONNES INCARCÉRÉES DANS LE QUARTIER DE PRÉVENTION DE LA RADICALISATION

Dans le cadre du projet « Renvoyé spécial SPIP » développé par la Maison des journalistes, grâce à un soutien conjoint de la DPMP de la Ville de Paris et du FIPDR, Niyaz Abdulla, journaliste kurde irakienne a échangé avec quatre personnes incarcérées dans le quartier de prévention de la radicalisation. Une occasion de discuter sans filtre de la situation de la liberté de la presse en Irak.

Le jeudi 24 août dernier, Niyaz Abdulla, journaliste kurde irakienne, hébergée par la Maison des journalistes, s’est rendue dans le quartier de prévention de la radicalisation. Quatre personnes incarcérées étaient au rendez-vous afin de participer à ce temps de rencontre. Pour son tout premier « Renvoyé spécial », Niyaz Abdulla a fait un focus sur la situation de la liberté de la presse en Irak. La journaliste, qui a longtemps été persécutée par les autorités du Kurdistan irakien notamment à cause de ses reportages sur la corruption gouvernementale et sur la politique locale, a par ailleurs reçu le Prix international de la liberté de la presse en 2022, décerné par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).

« Tous les médias étaient contrôlés par le gouvernement »
                   Niyaz Abdulla

Lors du début de l’échange, Laura Martini, psychologue MLRV (Mission de lutte contre la radicalisation violente) au sein du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) a rappelé le cadre dans lequel cet échange avait lieu. Oumaïma Charaf, chargée de sensibilisation au sein de la Maison des journalistes, a par la suite introduit les missions de l’association en incluant le projet « Renvoyé spécial » et a pu répondre à quelques questions des participants. Quelques exemples : « comment la MDJ est financée ? », « est-ce que les journalistes exilés continuent toujours d’exercer leur travail » ?

Niyaz Abdulla a ensuite pu prendre la parole. En guise d’introduction, la journaliste a présenté en arabe la situation actuelle du journalisme en Irak et au Kurdistan irakien. Un interprète sollicité par le SPIP a pu traduire ses propos pour les participants. Niyaz Abdulla tient à insister sur une année en particulier : « Le journalisme en Irak connaît surtout deux périodes, avant et après 2003. Avant cette date, tous les médias étaient contrôlés par le gouvernement. À partir de 2003, c’est là que le journalisme a pu se développer et de fait, beaucoup de médias ont émergé. En parallèle, les oppressions sur les journalistes ont aussi augmenté ».

Des journalistes muselés, violentés et tués en Irak

À quoi sont concrètement confrontés les journalistes qui ne plaisent pas au pouvoir  en Irak ? Niyaz Abdulla donne des exemples d’oppressions : kidnapping, torture, harcèlement, viol, voire meurtres… D’après un bilan publié par Reporters sans Frontières en 2022, l’Irak et la Syrie présentent un total de 578 journalistes tués sur les vingt dernières années. Ces deux pays représentent à eux seuls « plus d’un tiers des reporters tués dans le monde », d’après RSF. Niyaz Abdulla complète ces totaux avec d’autres données qui font froid dans le dos : « De 2003 à 2011, l’Irak a été le pays le plus dangereux pour les professionnels de la presse. Depuis 2003, plus de 500 journalistes ont été assassinés, et chaque journaliste parmi ces victimes, a une histoire sur son meurtre». Parmi les responsables de ses exécutions, on retrouve différentes milices présentes en Irak. Plusieurs d’entre elles sont par ailleurs contrôlées par des partis politiques ou appartiennent à des groupes religieux (takfiri, Daech et Al-Qaïda). D’autres encore sont même des milices extérieures. « Je ne pouvais plus rester, il fallait partir rapidement », indique Niyaz Abdulla.

Une rencontre riche

Les participants ont été surpris de la situation de la presse en Irak, surtout au Kurdistan irakien. « C’est étonnant que cette région qui défend la cause des kurdes et lutte pour leur liberté, exerce autant de pression sur ses journalistes », annonce l’un d’entre eux. Au fil de l’échange, Niyaz Abdulla a développé l’histoire du Kurdistan avec le traité de Sèvre et de Lausanne, tout en rendant hommage à certaines victimes et à d’anciens collègues à travers sa présentation. Certains d’entre eux ont été kidnappés et assassinés.

Pour les participants, cette rencontre aura été très riche. Dans le formulaire rempli après la rencontre, la fonction de journaliste leur paraît « indispensable ».

Par Chad Akoum

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