Article de Adad Kana’an (pseudonyme).
Traduit de l’arabe au français par Aline Goujon
Cliquez ici pour lire l’article en langue arabe publié dans damascusbureau.org, le 25 avril 2014
En France, les journalistes syriens marqués par l’exil et la détention peuvent prendre un nouveau départ, grâce à l’association « La Maison des journalistes » qui les aide à s’adapter.
(Paris, France) – Bien que Mahmoud el-Hajj, journaliste syrien de 21 ans, ait achevé son séjour à la Maison des journalistes depuis plus d’un mois, il continue d’y aller de temps à autre pour rendre visite à ses collègues syriens ou consulter son courrier.
Ce jeune Syrien arrivé à Paris depuis près de huit mois a connu la même situation que des dizaines de journalistes étrangers, dont de nombreux Syriens, qui ont résidé, chacun séparément et de façon temporaire, dans des chambres de cet ancien bâtiment situé dans le sud de la capitale française, dans le quinzième arrondissement. Ces journalistes bénéficient de l’assistance de la Maison des journalistes, une organisation non gouvernementale qui œuvre en faveur des journalistes réfugiés et les aide à prendre un nouveau départ.
Le hasard a fait que j’ai rencontré Mahmoud à nouveau et séjourné en même temps que lui à la Maison des journalistes, alors que nous nous étions connus durant l’hiver 2012, à Beyrouth. C’est sous la contrainte qu’il a quitté le territoire libanais, tout comme le syrien. Au Liban, il était persécuté par des membres du Hezbollah et avait des problèmes avec les autorités du fait qu’il ne possédait pas de papiers d’identité. Tout cela l’a poussé à faire appel à l’organisation Reporters sans frontières pour se faire aider à quitter le pays, et c’est ainsi qu’il a pu obtenir un visa pour entrer en France. Quant aux conditions dans lesquelles il a quitté la Syrie, Mahmoud se garde de les évoquer.
Au sujet de son séjour à la Maison des journalistes, Mahmoud explique : « C’est vraiment bien d’avoir une chambre de quatre mètres sur quatre pendant six mois, dans un endroit comme Paris. Cela permet aux étrangers comme nous, même temporairement, de s’adapter au rythme d’une ville mouvementée comme Paris. »
Mon expérience personnelle de réfugié est assez similaire à celle de Mahmoud. J’ai quitté la Syrie en 2012 et me suis rendu à Beyrouth, où je suis resté un peu plus d’un an. J’ai ensuite reçu l’ordre, par une décision de la Sûreté générale libanaise, de quitter le pays dans un délai de deux mois. J’ai donc recouru au même moyen que Mahmoud pour obtenir un visa d’entrée en France, et me suis retrouvé à la Maison des journalistes.
À la Maison des journalistes, ou leur « refuge » comme certains l’appellent, les journalistes en exil se voient offrir un hébergement pour six mois, ainsi qu’une partie de leurs besoins quotidiens en nourriture et en transports, et ils sont aidés dans l’accomplissement des démarches relatives à leur séjour en France. En outre, l’association a récemment lancé un site baptisé « L’œil de l’exilé », qui permet à ces journalistes de publier leurs articles.
À ce jour, l’association a accueilli près de 270 journalistes venus d’une soixantaine de pays d’Afrique, d’Amérique latine, d’Europe de l’Est et d’Asie, ainsi que de pays arabes comme le Yémen, le Soudan, la Syrie, l’Iraq ou encore la Palestine. Parmi les journalistes qui y ont séjourné au cours des deux dernières années seulement, 19 sont syriens.
Nombreuses et passionnantes sont les histoires des résidents, mais toutes sont teintées d’amertume. Certains se souviennent des souffrances endurées lors des détentions, tandis que d’autres ponctuent leurs récits de longs soupirs qui trahissent leur colère contenue.
Le journaliste et écrivain syrien Nart Abdulkareem, 41 ans, a quitté Salmiya, dans la province de Hama, pour s’établir à Damas en 2003. Entré dans l’opposition politique au régime du président Bachar el-Assad par le biais des cercles politiques et littéraires, il signe la Déclaration de Damas en 2005.
Lorsqu’un vent de renouveau souffle sur les pays arabes, Nart y voit l’occasion de contribuer à réaliser le rêve qu’il nourrissait depuis bien longtemps : apporter le changement en Syrie. Il s’engage très tôt dans le mouvement pacifique à Damas, avant d’être arrêté par les forces de l’ordre, le 16 mars 2011, pour avoir participé à un sit-in devant le Ministère de l’intérieur à Damas.
Durant son emprisonnement, Nart rencontre des militants politiques et des droits de l’homme, avec qui il convient de s’associer dans la phase suivante. Après sa libération, il travaille en tant que reporter pour une chaine arabe, raison pour laquelle il est à nouveau poursuivi, recherché par plusieurs services de sécurité. En conséquence, bon nombre de ses amis et confrères militants politiques sont arrêtés, et les forces de l’ordre font des descentes dans ses divers lieux de résidence, qu’il a multipliés pour échapper à l’arrestation.
Le 15 novembre 2011, Nart quitte le territoire syrien clandestinement et se rend en Jordanie, d’où il poursuit son activisme politique en gardant des contacts avec les militants restés en Syrie. Il s’installe à la Maison des journalistes à Paris fin 2012.
J’ai tissé des liens étroits avec Nart, et nous avons beaucoup discuté ensemble du sort de la Syrie et de son expérience personnelle durant la révolution.
Au sujet des difficultés qu’il rencontre en France en tant que journaliste et écrivain et de la poursuite de son travail depuis Paris, Nart indique: « Le plus gros problème, c’est la langue, mais je continue à écrire pour des médias arabes et à me consacrer à mon livre documentaire sur la révolution syrienne, dans lequel je traite de la période allant du décès de Mohamed Bouazizi (le tunisien révolté qui s’est immolé par le feu le 17 décembre 2010 avant de mourir le 4 janvier 2011) jusqu’au 15 mars 2011, date du début de la révolution syrienne. »
Pour Nart, qui réside en France depuis près d’un an et demi, il est encore trop tôt pour déterminer si sa situation lui permet de développer son travail. Quant à un éventuel retour à Damas, il indique : « Je ne pense pas rentrer pour l’instant, bien que ma présence en France m’empêche de couvrir convenablement les évènements sur le terrain. »
L’écrivain syrien Iyad el-Abdallah, 37 ans, a également dû quitter la Syrie à cause de la répression politique. Pour lui et bien d’autres intellectuels de l’opposition, les problèmes ont commencé avant le début de la révolution : « Les difficultés que j’endure, à l’instar des autres écrivains et militants, démontrent que le régime n’accepte pas la culture et les intellectuels, en particulier ceux qui ne suivent pas la ligne officielle. »
J’ai rencontré Iyad à Paris également, et résider dans le même bâtiment que lui pendant près d’un mois m’a permis de bien le connaître. C’est quelqu’un de très joyeux, bien qu’il soit très affecté par les persécutions et l’oppression que lui ont infligées les forces de l’ordre syriennes, et qui l’empêchent de raconter en détails ce qu’il a subi en Syrie.
Parmi ses nombreux ouvrages, il aborde dans « L’Amérique et les Frères musulmans », publié récemment et cosigné avec l’écrivain Hammoud Hammoud, l’avenir des islamistes après la chute de leur règne en Égypte. Il termine actuellement d’écrire un livre sur la position des groupes islamiques impliqués dans le conflit syrien, et mène plusieurs recherches sur divers sujets liés à la révolution syrienne.
« J’ai quitté la Syrie contraint et forcé, et je voudrais y retourner à la première occasion qui s’offre à moi », affirme Iyad, ajoutant au sujet de sa situation actuelle et de ses activités en France : « Je suis confronté à de nombreuses difficultés ici, tout comme la plupart des Syriens arrivés récemment en France. Les plus gros désagréments sont liés au logement; personnellement, j’ai beaucoup souffert sur ce plan. La langue, également, constitue un obstacle de taille. »
Il évoque les difficultés qu’il a eues en se lançant dans les procédures de demande d’asile : « Il ne s’agit pas seulement d’arriver à communiquer avec les gens, mais aussi d’accomplir les formalités nécessaires pour assurer sa situation dans tous les domaines. Or en France, il y a beaucoup de complexités à ce niveau; il faut donc compter au moins une année entière avant de se défaire un tant soit peu des démarches auprès des autorités. »
En ce qui concerne son séjour à la Maison des journalistes, Iyad observe : « Vivre à la Maison des journalistes m’a considérablement libéré de certaines de ces charges. C’est une expérience novatrice. »