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Paru dans www.clubdelapressenpdc.org, le mardi 31 mars 2015

Le Club de la presse Nord-Pas de Calais se mobilise régulièrement et dès que nécessaire pour défendre la liberté de la presse et celle des journalistes. Liberté d’opinion, liberté d’expression, des notions chères à notre démocratie, mais dont le respect est loin d’être acquis dans le monde, ni même dans l’hexagone. L’assassinat de 12 personnes dans la rédaction de Charlie Hebdo en a été un cruel rappel. Dans ce contexte, le Club de la presse s’est associé aux étudiants en master de l’association RESIPROC (réseau des spécialistes en ingénierie des projets de coopération) pour l’organisation d’un débat sur l’influence de la coopération internationale dans la propagation du concept de liberté de la presse. Le débat, animé par Nicolas Kaciaf, maître de conférences à l’IEP de Lille spécialisé en sociohistoire du journalisme et des médias et en sociologie de la communication, s’est tenu le 11 mars au Club de la presse.

Evry Archer, journaliste haïtien, également psychologue et médecin psychiatre, président fondateur de la Communauté haïtienne du NpdC, Sékou Chérif Diallo, journaliste et sociologue guinéen, Mathieu Hébert, président du Club de la Presse et Nicolas Kaciaf, maître de conférences à l’IEP de Lille et animateur de la soirée

Evry Archer, journaliste haïtien, également psychologue et médecin psychiatre, président fondateur de la Communauté haïtienne du NpdC, Sékou Chérif Diallo, journaliste et sociologue guinéen, Mathieu Hébert, président du Club de la Presse et Nicolas Kaciaf, maître de conférences à l’IEP de Lille et animateur de la soirée

Pour introduire le débat, Nicolas Kaciaf a invité deux journalistes étrangers exilés en France à témoigner de leur expérience de la liberté de la presse : Evry Archer, journaliste haïtien, psychologue, fondateur de la Communauté haïtienne du Nord-Pas de Calais qu’il préside encore aujourd’hui et Sékou Chérif Diallo, journaliste et sociologue, contraint de quitter la Guinée pour son engagement et ses prises de positions politiques, actif depuis la Maison des journalistes de Paris. Au-delà des spécificités historiques propres à chaque pays, les récits des deux intervenants comportent de nombreuses similitudes. Les régimes répressifs et dictatoriaux finissent toujours par contrôler la presse, soit pour faciliter leur installation soit pour pérenniser leur emprise sur la société. Pour illustrer son propos, Evry Archer a cité l’exemple des lois votées en 1979 à Haïti qui prévoyaient des peines de trois ans de prison pour insulte à un membre du gouvernement et des forces de l’ordre. En plus d’une répression institutionnalisée, les journalistes ont également subit des intimidations, des assassinats. Le musellement peut être plus insidieux, comme l’a démontré Sékou Chérif Diallo. Après l’élection de l’opposant historique Alpha Condé lors de la présidentielle guinéenne en 1990, l’espérance d’une ouverture démocratique a fait long feu. L’état, usant de sa position de principal bailleur des médias, exerce sur eux une pression financière, réduisant fortement leur autonomie et la portée des voix de l’opposition. La presse est pourtant essentielle pour « instiller une culture de la démocratie » auprès d’une population qui n’y est pas habituée.

Quelle forme peut prendre la coopération internationale en matière de liberté de la presse ? Comme l’a rappelé Mathieu Hébert, président du Club de la presse, l’histoire de l’association recèle des exemples concrets. En 1993, alors que l’Algérie vit sa « décennie noire » et fait face aux attaques de plusieurs groupes terroristes (FIS, AIS, GIA, GSPC), Philippe Allienne, alors administrateur de l’association, s’était rendu sur place pour rencontrer des journalistes algériens. Le Club de la presse a ensuite proposé d’aller plus loin en invitant ces confrères à venir raconter comment et dans quelles conditions ils travaillaient et relataient les événements malgré les risques. En 1995, c’est un projet de plus grande ampleur qui est lancé : l’APAIS, Agence de presse autonome, internationale et solidaire. Même si elle a eu une durée de vie relativement courte, huit mois, et qu’elle n’a pas obtenu son agrément, l’agence a diffusé une lettre d’information hebdomadaire et une note d’info (plusieurs fois par semaine) auxquelles ont collaboré des journalistes algériens. La brièveté de l’expérience n’en diminue pas l’ambition, l’existence même de cette tentative montre qu’une initiative internationale peut exister en dehors des grandes ONG.

Coopération, mode d’emploi

Kag Sanoussi, expert en prévention et gestion des conflits, et Laurent Allary, conseiller auprès du DG de la CFI - Agence française de coopération des médias

Kag Sanoussi, expert en prévention et gestion des conflits, et Laurent Allary, conseiller auprès du DG de la CFI – Agence française de coopération des médias

Laurent Allary, conseiller auprès du directeur général de l’Agence française de coopération des médias, est un professionnel de la question. Cette structure, dépendante du ministère des Affaires étrangères et du développement international, est chargée de coordonner et d’animer la politique française d’aide au développement en faveur des médias du Sud. Les actions sont menées de façon pragmatique, avec une évaluation préalable des besoins locaux avant la mise en place de solutions adaptées. Un modèle qui se veut loin des anciens schémas de relation Nord-Sud. L’Agence est donc active sur le terrain pour former des journalistes à la fois aux techniques de diffusion, mais aussi à la prise de recul, à l’application de méthodes journalistiques. En fonction du pays, les réalités historiques et politiques obligent à une adaptation ; former d’anciens activistes de la révolution en Tunisie ou des Birmans qui découvrent la liberté après plusieurs décennies de dictature militaire ne demandera pas la même méthodologie. Laurent Allary rappelle que « dans un pays où il n’y avait aucune information, on part de zéro et le public ne comprendra pas forcément tout de suite l’intérêt de l’information ». En l’occurrence c’est à travers le football et le journalisme sportif qu’ont été transmises les techniques et méthodes : mener un interview, mettre en place un direct… avec l’espoir que cela soit mis en application dans d’autres domaines, les prochaines élections par exemple. Le pragmatisme défendu implique également une réflexion sur le statut des journalistes dans le pays. L’information ne nourrit pas les gens, il convient donc de trouver des modèles économiques qui permettent aux journalistes de vivre de leur travail. L’intervenant résume ainsi la philosophie qui guide le développement des projets de l’Agence : « le journalisme ne fait pas la démocratie, c’est une brique dans la construction du pluralisme ».

« Un bon journaliste est un journaliste vivant », cette citation à rebours de l’image idéaliste du journaliste, est à attribuer à Kag Sanoussi, président de l’Institut international de gestion des conflits. Ce dernier a attiré l’attention des participants sur la question de responsabilité des journalistes et leur rôle dans les conflits. Dans son raisonnement, l’information est une source de conflit et le journaliste doit donc toujours se poser la question de l’intérêt de la divulguer. S’il est vrai que les médias peuvent clarifier des situations, humaniser un conflit et qu’ils doivent contextualiser les informations, les questions venant de la salle ont montré que cette vision n’était pas entièrement partagée. Par une auto-censure trop poussée, la presse ne limiterait-elle pas elle-même sa liberté ? Ne peut-on pas considérer que les journalistes peuvent aussi bousculer positivement les institutions ? Là encore, tous les pays n’ont pas le même historique de la pratique de la liberté, l’avis de leurs ressortissants en est forcément le reflet.

Le débat reste ouvert sur de nombreuses questions, il aura eu le mérite d’illustrer la notion de coopération internationale en matière de liberté des médias.

N.B.
Photos : Gérard Rouy