« La liberté d’expression dans le sang » – Portrait d’Ibrahim, journaliste libanais
Pour s’être opposé au Hezbollah dans son pays, le journaliste libanais Ibrahim Cheaib a été contraint de s’exiler en France.
«Lorsque j’ai accepté cette interview, j’avais peur d’être cité et je souhaitais rester anonyme. Finalement, j’ai décidé d’avoir le courage de laisser mon nom pour raconter mon histoire. J’étais courageux au Liban, pourquoi ne pas l’être en France?»
Dans sa chambre à la Maison des journalistes d’une quinzaine de mètres carrés, Ibrahim Cheaib se livre pour la première fois depuis qu’il est arrivé en France en décembre 2019.
«J’ai toujours aidé tout le monde au Liban. Quand je suis arrivé en France, tout a changé. J’avais honte de demander de l’aide à mes connaissances sur place», confie le journaliste.
À son arrivé en France, durant huit longs mois, Ibrahim explique avoir vécu une période très difficile.
«J’étais totalement perdu. Je ne connaissais rien au niveau administratif en France. J’ai fait ma demande d’asile et j’attends la réponse de l’OFPRA [Office français de protection des réfugiés et apatrides]. Je ne retournerai pas de sitôt au Liban, je veux recommencer toute ma vie en France.» Aujourd’hui, il est accueilli par la MDJ. Plus « à l’aise et libre » il retrouve petit à petit ses repères.
Assis sur son lit, les jambes croisées, le journaliste explique ne plus pouvoir retourner dans son pays natal. Il a travaillé depuis 2009 au sein de journaux et chaînes de télévision libanais:
- Al-Diyar
- Aden Life Satellite Channel
- Al Ittihad Satellite Channel
- Al Sahat Satellite Channel
- Al-Thabat Satellite Channel
Chacun de ces médias est soutenu financièrement par l’Iran, par la Syrie du régime baassiste gouverné par Bachar Al-Assad, mais aussi le Hezbollah et le mouvement Amal, deux partis libanais idéologiquement affiliés à l’Iran.
«La liberté d’expression n’existe pas au sein des médias dans lesquels je travaillais. Tout y est contrôlé. J’avais besoin d’écrire et faire part de mon opinion sur les sujets que je souhaitais.»
«Tous mes problèmes ont débuté ce jour-là», se souvient-il. «Dans mes articles, je soutenais simplement le fait que le Hezbollah et le mouvement Amal devaient entretenir de bonnes relations avec les pays frontaliers du Liban. Il faut qu’ils arrêtent d’être les exécutants des désirs militaires et politiques de l’Iran dans la région.»
Harcèlement, menaces, insultes, il voyait «le danger s’approcher» de lui. Dans sa chambre, sous une forte chaleur légèrement atténuée par le ventilateur qui gronde, Ibrahim Cheaib raconte douloureusement les attaques perpétuées à son égard.
«Un partisan du Hezbollah est passé à moto, à côté de moi, en maniant un pistolet pour me faire comprendre le danger que j’encourais si je continuais à écrire.»
Malgré moultes menaces, il décide de continuer ce pour quoi il vit. Il rencontre à de nombreuses reprises l’ambassadeur saoudien avec qui il lie une «amitié professionnelle.» Un affront supplémentaire qui excède ses détracteurs.
«Au mois de janvier 2019, un numéro inconnu m’appelle pour convenir d’un rendez-vous et s’expliquer», se rappelle-t-il. «La première fois, j’ai refusé. Il a insisté et j’ai finalement accepté.»
Ce jour-là, sa vie bascule totalement. Il se rend au lieu de rencontre. Un homme connu sous le nom d’«Osama» lui demande de monter à l’arrière de sa moto. Il l’emmène quelques kilomètres plus loin.
«Une voiture m’attendait. Deux hommes armés m’ont traîné de force à l’intérieur, et m’ont couvert la tête d’un sac noir. À ce moment, je pensais que c’était fini pour moi.»
D’un rire nerveux, il nous confie: «Je me sens très mal lorsque je me rappelle ce moment de ma vie.» Les yeux rouges, la voix nouée, il continue difficilement de réciter son histoire.
«Ils m’ont amené dans un appartement. Il y avait un drapeau du Hezbollah. J’étais en face d’un homme qui m’agressait verbalement. Il me disait: «Tu n’es rien ici. Nous pouvons te tuer et personne ne saura rien.» On m’a frappé et on m’a empêché de m’expliquer.»
Finalement, il signe un papier «de dernière chance» sans pouvoir l’examiner et il est relâché. «J’ai allumé une cigarette, j’ai réfléchi durant quelques minutes puis je me suis dit qu’il fallait quitter mon pays. J’ai préparé mes affaires et je suis allé dire au revoir à ma famille.»
«La liberté de dire ce que je souhaite»
Il part un mois et demi en France pour tenter de se faire oublier au Liban. Il stoppe ses activités médiatiques par crainte de représailles. Il revient lorsqu’éclate une révolte populaire le 17 octobre 2019 pour dénoncer le gouvernement libanais dont fait parti le Hezbollah.
Il s’implique en tant que «militant majeur de la révolution.» Il accuse de corruption des responsables politiques libanais, dont des ministres issus du Hezbollah. Les menaces reprennent une place dans sa vie. «Je me suis rendu compte que je n’étais plus du tout en sécurité au Liban. Je devais quitter pour de bon mon pays.»
Il revient en France en décembre 2019. Aujourd’hui, il espère voir sa demande d’asile accepter par l’OFPRA puisque «sa vie est entre leurs mains.» Il continue depuis la France d’écrire et d’exercer son métier.
D’un regard assuré, il raconte vouloir lutter toute sa vie pour préserver et démocratiser dans le monde la liberté d’expression.
«C’est ma liberté de dire ce que je souhaite. Personne ne peut me dire ce que je dois faire. J’écrirais toujours ce que je veux.»
Le souvenir du Liban
«J’ai décidé d’emmener avec moi le drapeau du Liban. Il représente l’attache que j’ai pour mon pays. Quand je suis triste, je le regarde et il me donne la force de continuer. Il est toujours avec moi et me donne espoir.»