LA MDJ PRÉSENTE À L’INSTITUT DU MONDE ARABE : MÉDIAS INDÉPENDANTS ET LIBERTÉ D’INFORMER AU COEUR DES DÉBATS

Ce jeudi 14 novembre 2024, l’Institut du Monde Arabe a convié les journalistes de la MDJ à assister au panel « Inventer un média indépendant », organisé à l’occasion du premier « Sommet International des pensées arabes ».

Au cœur du Sommet : la production et la circulation de l’information.

Le « Sommet International des pensées arabes », organisé par l’IMA, vise à donner la parole aux acteurs de la production et de la circulation des savoirs dans le monde arabe. Lors de sa première édition, qui s’est tenue les 14 et 15 novembre derniers, les panels ont porté sur les grands enjeux de ce champs intellectuel : liberté de la presse, féminisme, décolonisation, démocratie… Ces rencontres ont contribué à l’ambition du parrain de l’évènement, Edgar Morin, de laisser à voir la complexité de la pensée et de la nourrir par l’échange : « la culture politique, historique, la connaissance, sont les seules armes qui vaillent contre l’obscurantisme et la peur », justifie le penseur en présentant le Sommet.

Comment traiter de la production et de la circulation des savoirs sans donner la parole aux professionnels de l’information ? Le jeudi 14 novembre, les journalistes de la MDJ ont assisté à un panel sur le rôle des médias indépendants dans la construction des imaginaires et des paradigmes politiques dans les sociétés arabes. Animé par le journaliste et essayiste Alain Gresh, l’échange a croisé les regards de Lina Attalah (journalistes égyptienne et rédactrice en cheffe de Mada Masr), Samer Frangie (universitaire libanais et rédacteur en chef de Megaphone News) et Malek Khadhraoui (journaliste tunisien et directeur de publication d’Inkyfada). Les intervenants sont revenus sur l’évolution des médias indépendants depuis les révolutions arabes de 2011, avant de soulever les conséquences de la guerre en Palestine et au Liban sur leurs activités journalistiques. Si ce panel, intitulé « Inventer un média indépendant », a été l’occasion d’évoquer des contextes géopolitiques ayant poussé à l’exil plusieurs résidents de la MDJ présents, il a avant tout mis en lumière leur grand combat : la défense de la liberté de la presse.

Les médias indépendants : des acteurs démocratiques en constant renouvellement…

S’ils existaient avant les révolutions de 2011, les médias indépendants ont flori dans les pays arabes suite aux vagues populaires s’étant étendues du Maghreb au Golfe. Les revendications démocratiques se sont inscrites au cœur de leurs lignes éditoriales. Selon Samer Frangie, Megaphone News a ainsi été créé dans une perspective politique, pour porter les « voix alternatives » au Liban. Au fil des évènements qui ont bouleversé le pays, le média a peu à peu fait primer la nécessité journalistique, voire sociologique, de poser un diagnostic sur la société libanaise. En revanche, ce rôle d’analyse est à l’origine de la fondation-même d’Inkyfada, en Tunisie. Malek Khadhraoui et ses collègues ont créé le premier média d’investigation du pays en 2014 pour répondre à la résolution suivante : alors que Facebook permettait à tout le monde de s’exprimer publiquement, et que les grands médias nationaux relayaient la propagande étatique, « le temps des opinions dans les médias devait être révolu ». La ligne éditoriale d’Inkyfada porte tout de même un « ADN révolutionnaire », en reprenant le slogan de 2011 « Travail, liberté, dignité nationale ». Ses enquêtes visent ainsi à défendre « les droits économiques et sociaux des régions oubliées des politiques de développement », selon Malek Khadhraoui.

Les médias indépendants dans le monde arabe reposent également sur une adaptation constante. En effet, à l’ère des réseaux sociaux, la diffusion d’informations nécessite de développer et de manier des outils permettant d’atteindre le plus grand nombre possible de personnes. De plus, l’indépendance-même de ces médias est déterminée par leurs sources de financement. Pour rester à la fois libres et accessibles, il leur a donc fallu innover. Or, les intervenants du panel s’accordent sur un constat : leur pratique professionnelle est aujourd’hui contrainte d’évoluer. Depuis la fin de l’année 2023, le journalisme indépendant subit les conséquences de la guerre en Palestine.

… pour assurer leur liberté d’informer

Lina Attalah, Samer Frangie et Malek Khadhraoui relèvent trois défis principaux auxquels leurs médias sont confrontés aujourd’hui. D’abord, leur activité a dû évoluer. Lina Attalah (Egypte) et Samer Frangie (Liban) expliquent que leurs équipes, qui réalisaient nombre d’enquêtes socio-politiques, couvrent aujourd’hui la guerre respectivement à leur frontière et sur leur sol. D’ailleurs, une dimension personnelle s’ajoute au traitement de l’information, car les journalistes libanais sont directement victimes du conflit. Ensuite, les sources de financements doivent se renouveler. En effet, selon les panelistes, plusieurs médias indépendants du monde arabe comptent en partie sur le soutien de bailleurs occidentaux. En raison de la solidarité des journalistes avec le peuple palestinien, certains financeurs menacent de couper leurs subventions. Enfin, ils font face à une méfiance accrue. Si l’on constate une large solidarité avec la Palestine dans les pays arabes, le traitement médiatique de la guerre en Occident se place majoritairement du côté d’Israël. Alors que l’Europe et l’Amérique du Nord se présentent comme les défenseuses des droits humains, ce double discours est perçu violemment par les populations des pays arabes. Or, les médias indépendants défendent des valeurs progressistes qui peuvent parfois être associées au modèle occidental (en étant par exemple issues de la tradition des Lumières). Les trois intervenants expliquent ainsi se sentir confrontés à une méfiance… qu’ils vont dépasser.

« A Mégaphone, quand les contraintes deviennent trop dures, nous sommes capables de nous adapter », affirme Samer Frangie. La suite de la discussion a porté sur l’avenir des médias indépendants dans le monde arabe. Leur capacité d’adaptation, alliée à leur ligne démocratique et progressiste, permet à leurs journalistes d’envisager de contribuer à la construction de nouveaux paradigmes, d’un « nouvel universel ». Dans la perspective, toujours, d’informer librement. Cette ambition parle aux résidents de la MDJ et aux autres journalistes exilés présents, qui ont dû fuir leur pays pour poursuivre cette liberté. Aujourd’hui, alors que l’activité journalistique se questionne et évolue dans le monde arabe comme en Occident, les échanges interculturels à l’instar de ce panel permettent de dépasser l’actuelle « guerre ouverte dans l’espace médiatique mondial », que désigne Samer Frangie.

Par Lucie Paillard

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