« Il faut prendre notre destin en main » – Portrait de Mamadou, journaliste guinéen

Mamadou se définit comme « destiné à faire du journalisme ». Cette passion anime ce jeune homme de 34 ans, né en Guinée Conakry et arrivé à la Maison des journalistes après plusieurs années de voyage. Mamadou m’accueille avec un grand sourire. Il raconte son histoire avec des anecdotes et une certaine éloquence. Jusqu’au moment où sa parole ralentit puis s’arrête, laissant place aux souvenirs qui ne s’expriment plus par des mots…

Issu d’une fratrie de six enfants, la famille de Mamadou habite Labé avant de déménager à Konakry, capitale de la Guinée. Il y réussira ses études avec succès avant de devenir journaliste et professeur de français. Caractéristique importante en Afrique, il fait partie de l’ethnie « Peuhls ».

L’inspiration à devenir journaliste

Son désir d’être journaliste ? Il l’a eu dès l’âge de raison, vers 7 ans. À cette époque, son père possède un ancien modèle de radio à piles. Dès que possible, Mamadou se faufile dans la chambre de son père et vole le poste pour écouter les émissions. À cause de l’antenne, il est interdit d’utiliser un poste radio en plein orage. Mamadou n’en tenait pas compte. C’est ainsi que la co-épouse de son père, l’accusant mettre sa famille en danger, s’écria: «Toi tu finiras par être journaliste!»

Son premier reportage

En terminal, Mamadou fait la rencontre d’un professeur émérite, qui est aussi journaliste en radio. Ce professeur lui ouvre les portes de son média.

Après plusieurs mois d’apprentissage, étape par étape, il est enfin choisi pour réaliser son premier reportage! Audacieux, il décide comme premier sujet l’insalubrité du marché alimentaire de Madina, le plus grand de Guinée.

Marché alimentaire de Madima à Konary en Guinée. source Pinterest

«Je suis parti avec un dictaphone, un papier et un stylo. J’ai interviewé tout le monde ! Régulièrement, je rencontrais des commerçants qui tenaient le même discours, ils se plaignaient de payer une taxe sur les ramassages des ordures, mais ce ramassage n’avait pas lieu.»

Chevronné, il ne se limite pas à interviewer les vendeurs, il se présente aussi devant le responsable du marché.

«Le ton de la conversation est dure, le responsable s’est fâché: « Moi je vous dis que… » Mais je refuse de nier la réalité, le marché est sale. De retour à la radio, je rédige un texte qui fait 2 pages. Mon directeur affirme que c’est plus de la littérature que du reportage ! Cela m’a permis d’apprendre l’écriture journalistique.»

Ce premier reportage ne se limitera pas à deux pages de littérature, Mamadou en tirera un reportage radio de 20 minutes qui contribua à faire évoluer les pratiques insalubres du marché de Madina.

Première affaire: qui ne tente rien, n’a rien

Mamadou réussit le concours pour devenir enseignant! Mais comme la moitié de la promotion, il n’a pas d’affectation malgré le droit d’en avoir une. Révolté par cette situation, il décide de partir enquêter.

Pour commencer, il demande audience afin de consulter la liste des candidats reçus. La demande est acceptée.

Je consulte la liste seul dans un bureau du ministère. C’est là où j’ai pris mon courage à deux mains, j’ouvre une porte et je change de pièce. Tel un espion, je photocopie la liste puis je remet l’original à sa place.

Il détient dorénavant la preuve qui lui manquait. Il n’a plus qu’à attendre patiemment devant le tableau des résultats pour prendre les coordonnées de tous ceux qui ont réussi le concours mais qui n’ont pas reçu de poste.

Il décide de publier une première série d’articles.

Convoqué par le chef du cabinet de l’éducation nationale: «On me diffame, on me menace, on m’intimide.

Lorsque je ressors, j’ai toujours les quelques 500 noms de personnes floués. Je leur ai envoyé un même message : il faut prendre notre destin en main, rétablissons nos droits, menons la lutte, faisons un sitting».

Le sitting est une réussite.

La police intervient et l’arrête brutalement (huit ans plus tard, il a encore une cicatrice) et ne doit son salut qu’à la mobilisation des autres professeurs  qui ont réuni la somme d’argent exigée pour le libérer.


Ma liberté d’informer, je l’utilise sans modération”.


Quand il ressort, la situation semble résolue. Les 432 candidats ont obtenu leur poste de professeur. Mamadou y compris. Mais son affectation ressemble à une sanction.

Je suis repoussé à plus de 600 kilomètres de Konakry, dans un village où il n’y a ni eau, ni électricité, ni téléphone, ni médias, ni contact…

Un moment de calme, mais à quel prix? 

Un an plus tard, j’ai pu changer de ville et je suis allé à Pita. Professeur jusqu’à 17h30, j’ai postulé comme stagiaire dans une radio communautaire. Rapidement, mes émissions sont devenues populaires. J’en ai donc eu plusieurs, c’était presque quotidien. […]

Mais mon directeur voulait garder sa place et était proche du pouvoir. Un jour, un auditeur appelle et nous traite de menteurs ! Je lui donne raison, nous diffusions des mensonges. Dès lors, le directeur m’a interdit d’antenne.»

Finalement, c’est une radio basée à Konakry qui relance la carrière du jeune homme. “Ma liberté d’informer, je l’utilise sans modération”.

Ses enquêtes flirtent avec la censure: «Je dénonce les viols de femmes dans la rue, l’homicide d’une femme qui avait tué la fille de sa co-épouse, puis j’ai fait le sujet de trop.»

« Le sujet de trop »

Jusqu’alors Mamadou paraissait détendu, entre deux anecdotes il souriait et comparait la Guinée et la France. Mais cette dernière enquête a fait plus que changer sa vie.


Ma décision est claire: on doit respecter les droits des personnes.


«J’ai enquêté sur la destitution de trois cadres peulhs de l’éducation nationale. Ils étaient effrayés. Alors j’ai décidé d’interviewer le responsable de cette situation, le directeur préfectorale de l’éducation nationale. C’était aussi mon chef en tant que professeur.

Je lui expose les faits; il me menace.

Mais ma décision est claire: on doit respecter les droits des personnes. Un fonctionnaire n’est pas un esclave de l’Etat.»

Mamadou découvre également que non seulement les trois professeurs n’ont pas été pris en raison de leur ethnie et de leurs opinions politiques, mais qu’en plus, ce sont trois militants du parti au pouvoir qui a pris leurs places, sans avoir les diplômes requis! Mamadou décide donc d’écrire l’article.

Les représailles

Mon cas de journaliste est remonté jusqu’à la présidence. A la fin du mois, je n’ai pas reçu mon salaire de professeur et mon média refusait de me revoir.

Lors de l’inauguration d’une école, un inspecteur de l’éducation nationale assis dans sa voiture et entouré de gardes du corps, m’interpelle sèchement: «Toi, tes jours sont comptés». Puis il rajoute sur le même ton: «Je vais te retrouver au carrefour».

Les menaces d’un haut fonctionnaire de l’Etat guinéen ? “Franchement, ça m’a fait ni chaud ni froid, mais ma famille et mes amis ont eu très peur.

«Nous étions à la fin du mois de juin en 2015, je n’avais pas encore 30 ans. Un ami m’appelle, il travaille à l’inspection régionale de la police.

“Tu dois quitter la ville!”

Je refuse puis j’accepte. Un second ami m’appelle pour me dire la même chose. Vingt minutes plus tard, un pickup de gendarmerie s’arrête devant la maison.»

C’est à partir de maintenant que le visage de Mamadou change radicalement bien qu’il continue son récit. Ces yeux rougissent tandis qu’il fixe le vide devant lui.

«C’est la dernière fois que j’ai vu ma femme. Elle était enceinte, je n’ai donc jamais vu mon second enfant.

C’est aussi la dernière fois que j’ai vu ma fille.

Elle courait vers moi en pleurant, mais moi je devais fuir. Il y avait une fenêtre, j’ai pris la tangente.»

Combatif malgré tout, il déplore la brutalité subie par ses proches. «Ma fille de 7 ans a vécu cette perquisition comme un traumatisme. La police a retourné toutes mes affaires, ils ont volé mon argent, mes cartes, mes papiers…»

Son regard est glaçant. Passant sa main sur son crâne (il en a l’habitude), il répète plusieurs fois «c’est là que tout a changé…»

«En fuyant, je suis allé au bord de la rivière me réfugier dans une maison abandonnée. Grâce à un ami, j’ai pu m’exiler vers le Mali où je ne me sentais toujours pas en sécurité.

Ensuite, ce fut le Maghreb. Je suis arrivé en France grâce à l’aide de mes amis et de mon entourage mais je ne veux pas le raconter, c’était trop horrible, trop douloureux, trop inhumain… Si tu savais ce qu’ils [les passeurs] nous ont fait faire, comment ils nous parlaient…»

Arrivée en France en 2017, il a attendu deux ans avant d’être hébergé à la Maison des journalistes. Mamadou travaille avec notre média « l’Oeil de la MDJ » pour parler de la Guinée. Voici un lien vers ses articles.

Un souvenir perdu, mais qui reste présent dans son esprit.

Souvenir

«Ce tee-shirt est un précieux souvenir, même s’il n’a vraiment rien de spécial.

Maman me l’a offert quand j’avais la vingtaine.

Elle m’a dit: « Tu es très courageux. Cela fait longtemps que tu surviens à mes besoins. Pour ça, je t’offre ce tee-shirt. C’est l’une des dernières fois que je pourrais t’offrir quelque chose. » Ce cadeau était avant tout symbolique.

Quelques temps plus tard, sa maladie s’est aggravée. Le jour où j’ai dû l’accompagner à l’hôpital, j’avais ce tee-shirt. Je l’ai posé derrière sa tête pour qu’elle s’en serve comme coussin. Son agonie a duré deux jours.

Ensuite, j’ai gardé ce tee-shirt comme souvenir, je ne l’ai pas lavé pour garder son odeur et je l’ai rarement porté.

Ce tee-shirt est un lien avec le passé, un symbole par rapport à l’argent et à l’éthique que voulait m’enseigner ma mère.

Finalement c’est en France, au foyer de Riquet, qu’on me l’a volé. Je ne l’ai plus, mais cela reste mon souvenir.»

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