Journalistes exilés et photographes de Magnum Photos croisent leurs regards pour raconter des expériences très personnelles autour des notions d’exil, d’accueil, de répression, de résistance, de succès ou d’échec.
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Discours d’un journaliste anonyme, exilé et menacé de mort
Mairie de Paris – 24 janvier 2018
Soirée organisée en l’honneur des journalistes exilés et réfugiés à la Maison des journalistes
« Merci à la Maire Madame Anne Hidalgo, à son adjoint, monsieur Patrick Klugman, pour cette agréable soirée, merci à la Directrice de la Maison des Journalistes Madame Darline Cothiére et à tout l’équipe de la Maison Des Journalistes. Et merci beaucoup à tous les invitées d’être venus ici.
Je m’appelle G.B. Je suis journaliste et réalisateur turc.
Je suis aussi demandeur d’asile politique depuis un an et demi. Je suis accueilli par la Maison des Journalistes depuis près de 5 mois. Ce soir, je suis très honoré de parler au nom des 13 autres résidents actuels de la MDJ.
Certaines nuits, surtout pendant l’hiver, quand je marche dans les rues de Paris, je regarde les fenêtres des bâtiments où les lumières jaunes et chaudes sortent vers le noir des nuits froides. J’imagine les familles heureuses qui passent de temps ensemble chez eux.
Je pense à ma famille, à mes proches et à mes amis. Je pense à ces moments de bonheur quand vous êtes ensemble avec vos proches. Et puis je marche vers ma lumière jaune et chaleureuse à Paris, je marche vers « La Maison des journalistes ».
Peut-être que pour vous la MDJ est seulement une association mais pour moi, c’est chez moi. Ce lieu que nous appelons entre nous, la Maison. C’est aussi ici que j’ai repris mon activité de journaliste. C’est là que je me prépare pour une nouvelle vie en attendant mon statut. C’est ma lumière jaune et chaude contre l’obscurité de la dictature.
Aujourd’hui, nous vivons des temps difficiles. Aux Etats-Unis, le président appelle les journalistes des ‘ennemies du peuple’. Donald Trump utilise le concept de “fake news” pour discréditer les informations qui le critiquent. Même en France, sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’État essaye de créer une loi pour limiter et pour déterminer les frontières du journalisme en utilisant ce concept. Pourtant, je pense que ce n’est pas du tout le rôle de l’État.
En Turquie, un dictateur qui s’appelle Recep Tayyip Erdogan a mis plus de 150 journalistes en prison depuis 2016. Et chaque jour, d’autres sont emprisonnés.
Il y a trois jours, la journaliste Nurcan Baysal a été placée en garde à vue simplement pour avoir écrit sur les réseaux sociaux : “je suis contre la guerre”. Elle voulait critiquer l’opération d’Afrin menée par la Turquie au nord-ouest de la Syrie.
A Malte, la journaliste d’investigation, Daphne Caruana Galizia, qui a révélé les ‘Malta Files’, a été assassinée le 16 octobre 2017. Comme ça, sans peine. Et vous connaissez très bien la situation en Russie, en Chine ou encore en Syrie à cause de la guerre civile et la terreur instaurée par DAECH…
En tant que personnes qui croient en la liberté d’expression, nous passons donc des jours difficiles, nous le savons mais nous n’avons pas peur. Notre courage est au moins aussi grand que la lâcheté de ceux qui veulent nous faire taire. Nous savons qu’il y a encore beaucoup de chose à faire pour un monde plus libre, égalitaire et fraternel. C’est pour cette raison que nous allons continuer à travailler sans relâche.
La MDJ est une association unique au monde. Mais avec les gens qui croient en la nécessité de la liberté d’expression pour la démocratie, je pense que d’autres maisons pourront se bâtir dans le monde entier. Par exemple, en Grèce, qui accueille aujourd’hui bien plus de réfugiés que la France. Ou bien en Italie, en Allemagne, ou encore au Canada et aux États-Unis.
Dans tous ces pays, il y a des journalistes qui ont fui des persécutions de régimes autoritaires. Ils sont en difficulté. Je pense que l’État et la société française sont assez sensibles et motivés pour élargir les actions merveilleuses de MDJ.
La Maison des Journalistes mérite d’être beaucoup plus connue sur la scène internationale.
Je vous remercie beaucoup pour votre attention. Je vous souhaite une bonne soirée et un futur avec la liberté d’expression. »
RENVOYE SPECIAL : Le journaliste camerounais Remy NGONO au lycée Joliot-Curie de Dammarie-Les-Lys
Mercredi 31 janvier 2018, Rémy NGONO, journaliste et écrivain camerounais est parti à la rencontre des élèves du lycée Joliot-Curie de Dammarie-Les-Lys dans l’académie de Créteil, accompagné de Clara LE QUELLEC, bénévole à la MDJ. L’occasion pour ces lycéens de seconde bac pro, accompagnés de leur professeur de lettres/histoire-géo madame Léa AMBERT, d’échanger sur les valeurs fondamentales de la liberté d’expression, de la liberté de la presse mais également sur la douleur de l’exil.
Le journaliste camerounais Rémy NGONO intervient au lycée de Dammaries-les-Lys dans le cadre de Renvoyé Spécial Île-de-France qui met en avant les journalistes écrivains en exil. Photo © Clara LE QUELLEC
« Vous savez, on ne choisit jamais son exil ». Pendant deux heures, Rémy NGONO, ancien résident de la Maison des journalistes, a livré un témoignage poignant sur son parcours professionnel au Cameroun, la violence et les difficultés rencontrées face à l’oppression du pouvoir, l’épreuve de l’exil et sa nouvelle vie en France.
Véritable combattant pour la liberté d’expression, celui qui a été un temps journaliste pour la chaîne d’état camerounaise CRTV puis directeur et animateur de la Radio Télévision Siantou, a été menacé, interdit d’exercer sa profession puis forcé de quitter son pays en 2005. Son crime ? Avoir dénoncé dans son émission satirique « Coup franc » la mainmise du président Paul BIVA sur la société.
Jouissant d’une reconnaissance dans son pays pour avoir gagné le prix Cameroon Presse Awards et le prix du Comité de l’Excellence Africaine, il se fait remarquer, quelques temps plus tard après son arrivée en France, par la radio RFI qui lui propose alors de devenir consultant sportif. Une formidable opportunité de reconstruction mais aussi un challenge pour celui qui avait fait de la politique son cheval de bataille. « J’ai beaucoup lu et tout appris sur le sport, je n’y connaissais rien ». Parce qu’il aime manier le verbe et reste très attaché à son continent et à sa patrie camerounaise, il publie son premier livre « Comme le dit un proverbe africain » en 2010.
Aujourd’hui, Rémy Ngono fait partie d’une minorité de journalistes exilés pouvant continuer à vivre de leur passion et de leur métier. Travaillant sur l’écriture d’un nouveau livre, il reste un fervent défenseur de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, deux valeurs fondamentales qu’il souhaite transmettre aux jeunes présents dans la salle. « Je suis venu en France pour les idées » répète t-il.
Le journaliste et écrivain a ensuite laissé la parole aux élèves pour un long temps d’échange et de nombreuses questions.
Quelques retours d’élèves émus par ce témoignage, concernés par la liberté de la presse et exprimant leur soutien aux journalistes exilés :
« J’ai été frappé par le courage de ce journaliste. Je le remercie de nous avoir accordé un peu de son temps. »
« J’ai beaucoup aimé son témoignage car il a tout dit sans retenue notamment sur la corruption en Afrique. »
« Je ne pensais pas que tant d’horreur était commise au Cameroun et je ne comprends pas qu’en France personne n’en parle. »
« La liberté de la presse dans une société est très importante car sans elle, un pays est comme emprisonné et donc on ne peut pas être en sécurité. »
« Je trouve qu’il y a vraiment un manque de considération de la part des gens envers les journalistes exilés. »
« Il faut que les pays qui les accueillent fassent plus attention à eux. »
« J’aimerais souhaiter bonne chance aux journalistes exilés, gardez la tête haute et le cœur rempli de courage ! »
« N’abandonnez pas votre combat, un jour cela changera ! »
« Merci Monsieur Ngono, je partagerai vos paroles là où je pourrais pour qu’elles touchent un grand nombre de personnes. »
Discours d’Annick Cojean, marraine de la promotion 2018, grand reporter au Monde, présidente du prix Albert Londres.
Mairie de Paris – 24 janvier 2018
Soirée organisée en l’honneur des journalistes exilés et réfugiés à la Maison des journalistes
Mesdames Messieurs, chers amis, un grand salut chaleureux à vous tous. Au fond, c’est essentiellement pour cela que nous sommes là. Pour vous accueillir amis du bout du monde. Pour vous dire bienvenue !
Pour vous dire que votre combat est le notre. Comme le bâillon qu’on a voulu vous imposer serait le notre, nous journalistes français, européens qui devons rester vigilants sur nos propres droits et libertés.
Qui devons continuer d’exiger le droit d’enquêter librement sur tous les sujets ; le droit d’interpeller nos élus, nos administrations, toutes les autorités ; le droit de mettre notre nez dans les entreprises, aussi puissantes soient-elles ; le droit d’enquêter sur les organisations religieuses, quelques soient la religion ; le droit de les mettre en cause s’il le faut, et de les dénoncer si des droits éléments élémentaires sont violés ; le droit d’être insolents, ingrats, de poser toutes les questions qui dérangent, de soulever ou bousculer tous les dossiers que certains voudraient mettre sous le tapis ; le droit, dirait Albert Londres, de «porter la plume dans la plaie». Bref, le droit d’être, à fond, journalistes.
Nous sommes le pays des droits humains. Oui, moi, je dis les droits humains. Ou les droits de la personne, si vous voulez. Vos traducteurs auront peut-être un peu de mal à vous expliquer ce point qui n’est pas un détail, et que les subtilités de la langue française ou de l’histoire française compliquent inutilement.
Car les institutions françaises persistent à parler des droits de l’Homme. «Homme» avec une majuscule. «Homme» pris dans un sens neutre et universel. «Homme» signifiant humanité. Comme en 1789 nous dit-on. C’est oublier qu’en 1789, il n’y avait pas de majuscule, et que les femmes n’avaient aucun droit. Alors en ces temps où, enfin, on se préoccupe un peu plus du sort des femmes, de leurs droits, de leur force, de leur oppression souvent, de leur apport si précieux, si indispensable et si mal reconnu à la société, je trouve utile de prêter attention au vocabulaire et de parler des droits de la personne, c’est-à-dire équitablement des hommes et des femmes.
Oui, vous êtes aussi dans un pays de l’égalité des droits entre les deux sexes. L’égalité proclamée ; reconnue et défendue par la loi, ce qui n’est pas toujours le cas dans certains pays d’où vous venez. Alors, s’il vous plait, considérez ce fait comme une chance, comme une libération.
Deux femmes parmi vous viennent d’Afghanistan, et je trouve merveilleux que dans ce pays qui souffre tant, et qui abrite aussi une société patriarcale et phallocrate, des femmes audacieuses aient choisi de faire ce métier. Chapeau bas! Six parmi vous viennent de Syrie, et l’on sait combien les femmes paient un lourd tribu à la guerre, et combien la menace du viol est omniprésente. L’un d’entre vous vient d’Iraq, une autre vient du Zimbabwe, un autre de Guinée, un autre de Mauritanie, un autre de Turquie. Dans tous ces pays, il est périlleux d’être journaliste. Et il ne fait pas bon être femme. La France, doublement, doit être un juste refuge.
Chers amis, je vous souhaite le meilleur lors de votre séjour parmi nous. Vous n’êtes pas seuls. La Maison des journalistes, cette merveilleuse institution, unique au monde, a l’expérience de l’accueil, et fera tout pour vous aider. Merci Darline, Christian, Alberic. Et puis nous autres, la communauté des journalistes, sommes là, en cas de problème, en cas de solitude, en cas de blues. Solidaires oui. Et c’est pour moi un honneur, sachez-le, d’être la marraine de votre promotion.
Ce 24 février, qui fait de vous des «citoyens» de Paris, est un jour joyeux. C’est symbolique bien sur. Mais cela compte et cela nous oblige.
Alors au nom des Parisiens – que dis-je ? Des bretons, des auvergnats, des provençaux, nous venons de tous les coins de l’hexagone – je vous dis bravo ! Courage ! Bienvenue !
Annick Cojean, marraine de la promotion 2018, grand reporter au journal Le Monde et présidente du prix Albert Londres – Darline Cothière, directrice de la Maison des Journalistes