«À cause de mes vêtements, ils m’ont traînée en justice» – Portrait de Basma, journaliste yéménite
Du haut de ses 26 ans, Basma nous semble timide. Cette première impression ne dure que quelques instants car c’est loin d’être le cas. Au fil de la discussion, cette rencontre va bousculer nos convictions, particulièrement l’idée traditionnelle que nous avons des mots « militant » et «indépendance». Grâce à ses anecdotes, elle nous emmène du Yemen au Soudan, de la Turquie à la France, par avion ou par bateau, des haltes de quelques jours ou de plusieurs années.
Lorsqu’elle évoque son enfance au Yemen, Basma déclare: «J’ai compris ma différence quand j’étais en cinquième». Pourquoi ? Sa peau est noire alors que la plupart des yéménites sont arabes, divisés à part relativement égale entre chiite et sunnite.
«Mon expérience en tant que membre d’une minorité dans mon pays natal, m’a confrontée à des degrés invraisemblables de racisme et de haine« .
Basma constate beaucoup d’autres anomalies dans la société yéménite, la plupart sont tabous. Elle aurait voulu s’y confronter et faire avancer les droits, mais la guerre en a décidé autrement.
Avant la guerre, Basma profite de son adolescence… pour se révolter !
Dès l’âge de seize ans, Basma est une militante affirmée. Elle prend la défense de groupes et de sujets que d’autres au Yémen considèrent comme «différents», donc nuisibles.
Ces problèmes sont tellement stigmatisés que dès qu’on les évoque, des problèmes surviennent. Elle a aussi travaillé pour des organisations variées, dont la défense de la lutte contre le SIDA/VIH et des organisations féministes dont elles se revendiquent fortement.
La littérature et la philosophie accompagnent cette période d’enrichissement personnel. C’est sans doute pour cela qu’elle se lance dans des combats idéologiques. «Dans mon université, j’ai commencé à étudier le journalisme et la communication de masse. Là, j’ai remarqué à quel point la liberté d’expression était importante et à quel point le Yemen en manquait.»
La guerre au Yemen change sa vie
Le Yemen est une terre de guerre depuis des décennies, si ce n’est des siècles, selon les légendes de cette région… Mais depuis 2015, le Yemen a connu l’une des plus grandes crises humanitaires au monde.
En plus de la guerre, la loi traditionnaliste du pays qui se base sur la loi de la charia a supprimé les quelques libertés obtenues par les citoyens. En d’autres mots, la société civile yéménite ne valorise pas les idées libérales. «La charia tient toujours sa place au Yémen ; en tant que femme, cela limite considérablement notre place dans la société».
Année après année, expérience après expérience, Basma admet l’évidence: ses convictions s’opposent aux règles du pays, le dialogue est impossible. Le Yemen n’est pas un pays pour elle ? «Mes opinions politiques dans tous les pays contrôlés par la loi islamique auraient pu me faire tuer.»
Il existe d’autres punitions que la mort. Elle devient la cible de ceux qui sont dévoués à l’islam. De plus, cela met sa famille en danger. Malgré l’hostilité de l’environnement politique, la guerre a réussi à faire pire.
En peu de temps, les rebelles houthis ont pris le contrôle du Yemen du Nord et y ont imposé les règles drastiques de la charia. «À cause de mes vêtements, ils m’ont traînée en justice» résume Basma, laissant paraitre sa colère.
Le 14 août 2017, épuisée par ces combats et leurs conséquences, la vie de Basma change pour toujours. Elle prend le risque de quitter le Yemen pour vivre libre. Mais où ?
مراحل مررت بها لمقاومة السلطة الإبوية والذكورية والدينية على جسدي. #FreeFromHijab pic.twitter.com/IFiLtAKmIA
— Basma Nasser (@basmanasser_) February 16, 2020
Le départ du Yemen
En quittant le Yemen, Basma fait halte au Soudan pendant deux mois. Les a priori sur sa couleur de sa peau ne la quitte pas pour autant. Le racisme prend parfois des formes inattendues : imaginez l’incrédulité des autorités quant à sa nationalité. «Le consulat yéménite au Soudan a pensé que j’avais volé ou falsifié mon passeport» dit-elle avec calme. Habituée à ce racisme, elle n’est pas étonnée d’en faire encore l’expérience.
Après deux mois, Basma quitte le Soudan pour se rendre en Iran avec comme objectif la Turquie. En raison de son passeport yéménite, il lui était très difficile d’obtenir un visa pour la Turquie, l’Iran étant frontalier, c’est une voie possible. «Entre l’Iran et la Turquie, la région du Kurdistan dispose d’un réseau de passeurs kurdes qui font passer les gens comme moi» nous explique Basma, évoquant son voyage tandis que son regard s’assombrit.
Aux portez de l’Europe, entre prison et attentes
À son arrivée en Turquie, elle reste détenue plus de quatre mois dans un centre de rétention. Basma et d’autres endurent des traitements inhumains qu’elle ne souhaite aps évoquer. Finalement, sans raison plus qu’une autre, on la laisse partir. «La Turquie ne peut pas faire partir quelqu’un sans son consentement écrit sur des documents» précise Basma.
Patiente, elle séjournera près de deux ans en Turquie en tant que réfugiée clandestine sans statut avec un seul objectif : l’Europe. Cela va lui prendre une année entière afin d’organiser cette traversée.
«Le jour de mon départ, nous avons pris la mer sur un tout petit bateau. Nous étions une soixantaine de personnes. Ce fut très stressant et éprouvant… Mais nous nous y sommes parvenus. Nous avons atteint l’île sous l’autorité grecque. J’étais enfin en Europe!» Malgré cette arrivée, les conditions ne sont pas sûres. Son périple n’est pas terminé…
C’est en Grèce qu’elle apprend l’existence de la Maison des journalistes, «un lieu d’asile pour des gens comme moi». Elle pensait alors que «c’était réservée à des gens plus précieux».
Quoiqu’il arrive, elle n’envisage pas de rester en Grèce. Il faut continuer. «Pour quitter la Grèce, il y a deux façons : illégalement avec de faux papiers ou à pied.»
L’arrivée en France
Après quelques mois de préparation et un document illégal, Basma arrive en France à l’aéroport Charles de Gaulle. Elle ne dupe pas les services français. Arrêtée, elle comparaît devant un tribunal. On l’accuse de détenir de faux papiers. Basma bénéficie immédiatement de l’aide d’un avocat pour l’aider à se défendre.
Lors de son procès, son avocat déclare: «Basma a enfreint la loi, mais comment la loi pourrait-elle strictement s’appliquer ? Les conditions qui l’ont poussée à venir ici ne lui ont pas laissé le choix.» Basma s’étonne. «La France, quel étrange pays !» Non seulement on la défend, mais les regards qu’elle croise ne sont ni hautains ni agressifs, au contraire, les gens la regarde avec bienveillance et gentillesse.
«Considérez ce pays comme le vôtre», déclare l’officier de police alors qu’elle quitte le poste de police de l’aéroport libre. «Ce fut une sensation merveilleuse» se souvient Basma, encore très émue lorsqu’elle évoque ce souvenir. Ses traits sont enfin appaisés, tout à coup elle semble tellement plus jeune.
A Paris, Basma recherche la Maison des journalistes, elle y dépose sa candidature qui est acceptée.
Non seulement on lui reconnait son parcours militant au Yemen. On y ajoute sa volonté d’être journaliste dans un pays où la presse est sacrifiée, où plus aucun média ne diffuse d’informations contradictoires… Femme noire du Yemen en exil, elle intrigue les médias internationaux: on lui demande de répondre à des interviews, elle se plie à l’exercice.
Ici, elle sait que ses opinions sont appréciées, qu’elle a droit de les exprimer sans peur des représailles. Ici, sa liberté d’expression et d’informer en tant que défenseure des droits humains et du féminisme est valorisée. Basma se sent l’égal des autres, femme ou homme. Elle continuera à se battre pour ses idées.