SANDYA EKNELYGODA, COMBATTANTE POUR LES DROITS DES DISPARUS, RENCONTRE LES JOURNALISTES DE LA MDJ

Sandya Eknelygoda, militante pour les droits de l’humain Sri-Lankaise, s’est rendue ce mardi 5 décembre à la Maison des journalistes pour dialoguer avec les journalistes de la MDJ et évoquer ses combats pour obtenir vérité et justice pour son époux et les milliers de victimes de disparition forcée au Sri Lanka.

Un récit poignant et riche en émotions. Ce mardi 5 décembre, la Maison des journalistes a reçu Sandya Eknelygoda, militante sri-lankaise pour les droits de l’homme, en compagnie d’un interprète pour traduire les échanges, de Diane Fogelman, chargée de programmes et de plaidoyer pour l’Asie et de Louis Linal, chargé de communication et de plaidoyer. Ces deux derniers travaillent pour l’association ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), une ONG chrétienne de défense des droits de l’Humain.

Un combat qui dure depuis 13 ans

Devant un public composé de résidents de la Maison des journalistes, Sandya Eknelygoda s’est livré en racontant son combat, qui dure depuis maintenant 13 années. Un combat qui a commencé le 27 août 2009, jour où Prageeth Ekneligoda, son mari, caricaturiste, journaliste et également défenseur des droits de l’homme sri-lankais a disparu. « Des inconnus armés l’ont enlevé, torturé dans un endroit secret puis l’ont relâché 24 heures après », confie Sandya Eknelygoda. Mais son soulagement va être de courte durée, une année précisément. Le 24 janvier 2010, Prageeth Ekneligoda disparaît à nouveau, cette fois, sans revenir. « J’ai essayé de le joindre à plusieurs reprises sur son portable, aucune réponse, aucun signe de vie. Ce n’est pas dans ses habitudes de laisser son téléphone éteint », se rappelle Sandya Eknelygoda. Dans son travail, son mari avait pour habitude de dénoncer et de critiquer la corruption et la brutalité du gouvernement sri-lankais en place, dirigé à l’époque par Mahinda Rajapaksa.

Jour après jour, Sandya Eknelygoda garde espoir de revoir son mari. « Je devais me battre seule, je n’avais aucune aide concrète, aucune piste qui pouvait m’aiguiller sur la disparition de mon mari », raconte la militante. Ce n’est qu’en 2015, après un changement politique au Sri Lanka, qu’une enquête et des recherches sont lancées. Il a fallu attendre cette année pour que l’Unité des gangs et des vols du Département des enquêtes criminelles se saisisse du cas de Sandya Eknelygoda pour que 12 personnes issues des forces armées soient identifiées comme suspectes. Toujours en 2015, une enquête policière a dévoilé que Prageeth Eknelygoda a été pour la dernière fois vu vivant dans un camp militaire, dans la petite ville de Giritale. Mais aucun d’entre eux n’a par la suite été inquiété. Depuis cette seconde disparition, Sandya a commencé son long combat, en quête de justice et de vérité. « Je ne compte plus les fois où j’ai été harcelée par des membres du gouvernement, menacée par des policiers, alors qu’ils sont censés représenter l’ordre. On m’a même accusée de mentir sur la disparition de mon mari, cela venait des fervents soutiens du président Rajapaksa », déplore t-elle.

« Les victimes n’ont pas de justice et les criminels ne sont pas punis »

Sandya Eknelygoda

Sandya Eknelygoda, militante Sri-Lankaise, à la Maison des journalistes

En janvier 2022, lors de l’anniversaire de la disparition forcée de son mari, Sandya Eknelygoda prend une décision radicale : elle décide de se raser la tête. « J’ai réalisé cet acte pour montrer symboliquement que j’entre dans un nouvel inconnu ». Les vêtements qu’elle porte ne sont pas non plus choisis au hasard. « Je porte du noir pour exprimer ma colère et mon indignation vis-à-vis de ceux qui ont enlevé mon mari. Le rouge lui, représente mon cœur toujours en vie », précise la militante.

La même année, le gouvernement Rajapaksa (le même que Prageeth Eknaligoda avait critiqué à l’époque) a été poussé à la démission par les citoyens, qui ont souhaité mettre fin à des années d’impunité, d’opacité et de népotisme. Depuis, le gouvernement actuel – en lien avec les Rajapaksa – fait face au mécontentement de la population. Le pays connu des épisodes de violences policières et une remontée de la militarisation. Les libertés sont menacées par le recours à la draconienne « loi anti-terroriste » pour justifier l’arrestation et la détention arbitraire de défenseurs des droits humains, alors que cette loi a été dénoncée par la communauté internationale.

Sandya Eknelygoda porte la voix de nombreuses autres personnes : d’après les chiffres d’Amnesty International, il y a entre 60 000 et 100 000 disparitions forcées au Sri Lanka depuis les années 1980. « Au cours de ces 13 années de souffrance, j’ai appris une chose : les victimes n’ont pas de justice et les criminels ne sont pas punis », affirme Sandya Eknelygoda d’une voix ferme.

Un prix pour honorer la mémoire de Prageeth Eknelygoda

Sandya Eknelygoda s’est rendue en France la semaine du 4 décembre afin d’entamer une tournée de mobilisation contre les disparitions forcées et aussi recevoir le Prix Engel-du Tertre 2023 au nom de son mari Prageeth. Ce Prix pour les droits humains a été remis par l’association ACAT.
Aujourd’hui, Mahinda Rajapaksa et son frère Gotabaya qui contrôlait l’armée sont toujours libres, alors qu’ils sont accusés de crime de guerres par la communauté internationale. Malgré ces 13 années passées, Sandya Eknelygoda se refuse de baisser la tête et continue de porter la voix de son mari. « Je suis très croyante. Après m’être coupé les cheveux, je les ai ensuite jetés à la mer en faisant un vœu à Kali, déesse de la colère, que ceux qui ont enlevé mon mari soient enfin punis », lance t-elle avec espoir.

En 2020, ses deux fils âgés de 29 et 26 ans ont quitté le Sri Lanka pour la Suisse. « Quant à moi, Je reste au Sri Lanka, conclut-elle, c’est ici que mon combat demeure ».

Tout au long de son récit, les journalistes résidents de la MDJ ont pu interroger la militante des droits humains sur ce combat qu’elle porte. « C’est une personne très émouvante, j’espère de tout cœur qu’elle pourra retrouver son mari vivant », livre Chokri Chihi, journaliste tunisien. Et espérer aussi que le temps livre enfin la vérité.

Par Chad Akoum 

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©  Chad Akoum